La vidéo a été perfidement éditée en juxtaposant deux séquences enregistrées à des moments différents, et, contrairement aux interprétations oniriques des internautes, les dames utilisent un processus basé sur des principes scientifiquement démontrés.
Un réel partagé sur Facebook le 13 avril 2024 prétendant montrer des dames fabriquant de la glace de façon instantanée, est FAUX.
Capture d’écran de la vidéo postée par IcicestAbidjan, prise le 13 juillet 2024
Dans la vidéo de deux minutes et quinze secondes, on aperçoit une dame plonger des sachets d’eau dans un grand bac en dur contenant un liquide verdâtre, puis, quelques secondes après, ressortir les mêmes sachets dont l’eau a déjà subi un processus de solidification, passant ainsi de l’état liquide à l’état de glace.
En légende de la vidéo, la page IcicestAbidjan qui l’a publiée, met en garde « les personnes qui aiment acheter les glaces dans les rues ».
« Seul un produit chimique peut former une glace de ce genre, j’imagine la réaction de cette solution ! », s’indigne la page, plaidant que les commanditaires devraient être en prison.
Tandis que IcicestAbidjan a partagé la vidéo le 13 avril 2024 à 11h03mn, la même vidéo a été reprise par Gbairai D’afrik, une autre page qui partage des contenus d’actualité et de divertissement, la même date à 17h52mn.
À la date du 13 juillet 2024, la vidéo a été regardée sur IcicestAbidjan plus de 10.000 fois, et a reçu 67 réactions et 48 commentaires. La version postée par Gbairai D’afrik a quant à elle enregistré jusqu’à présent 5.200.000 lectures, 4.400 commentaires et plus de 20.000 réactions. La vidéo a aussi largement circulé sur WhatsApp, provoquant diverses réactions et devenant ainsi une problématique d’intérêt public.
Un groupe de vérificateurs des faits de l’Alliance africaine de vérification des faits (AFCA) a examiné la publication et l’a trouvée fausse.
Montage trompeur : la glace ne s’est pas formée instantanément
Une analyse minutieuse de la vidéo révèle qu’elle est constituée de deux séquences juxtaposées. La première séquence montrant une dame en train de plonger les sachets d’eau dans le réservoir contenant le liquide verdâtre dure jusqu’à la quarante-neuvième seconde, où on observe la transition à la seconde séquence qui montre la même dame ressortir des boules de glace du réservoir.
Les investigations de l’AFCA ont révélé que la dame sur la vidéo s’appelait Donatienne Tindano. L’intéressée a en effet publié sur TikTok, deux vidéos distinctes : dans la première, on la voit en train de plonger les sachets d’eau dans sa machine, et dans la seconde, elle en sort les boules de glace.
C’est donc principalement le montage perfidement fait qui a induit la plupart des internautes en erreur, pensant que la glace s’est formée immédiatement, comme on peut l’entendre dans la voix off en français sur la version reprise par Gbairai D’afrik.
Toutefois, ce n’est pas le cas.
L’AFCA a consulté Sidiki Nanakassé, enseignant-chercheur à la retraite à la Faculté des sciences et techniques de Bamako, expert en chimie physique, qui, en plus de confirmer qu’il s’agit manifestement de deux séquences tournées séparément et montées ensemble, explique que la glace n’a pu se former en quelques secondes.
« Pour pouvoir fabriquer de la glace de façon instantanée comme tend à le faire croire l’auteur, il aurait fallu que le liquide de trempage soit de l’azote liquide, ce qui n’est pas le cas avec certitude car l’azote liquide n’a pas cet aspect verdâtre et ne peut de toute évidence être manipulé dans de telles conditions », affirme Dr Nanakassé, soutenant ainsi la thèse de l’improbabilité de la fabrication de glace de façon instantanée dans la vidéo.
Que s’est-il donc passé entre-temps ? C’est ce que notre vérification explique ci-dessous.
Innovation artisanale : réplication des machines à saumure
Dans une autre vidéo publiée par Donatienne, notamment pour répondre au bad buzz provoqué par le montage de ses précédentes vidéos, elle montre clairement sa machine et en explique le fonctionnement.
À partir d’un recoupement des indices fournis par Donatienne combiné à une recherche des mots clés « “fabrication de glace” + “eau” + “réservoir” » sur Google, nous avons pu établir qu’il s’agissait d’une réplique artisanale de la machine à glace à saumure, fréquemment utilisée dans l’industrie de production de glace à l’échelle industrielle, sur le plan mondial.
Fiacre Houessou, technicien en chauffage, ventilation et climatisation, qui a installé plusieurs de ces machines à Cotonou au Bénin, explique : « C’est une machine qui est principalement composée d’une unité de réfrigération et d’une piscine d’eau salée dans laquelle on immerge des moules à glace dans le cadre d’une grande production industrielle, ou tout simplement des sachets d’eau comme c’est le cas dans la vidéo ».
Ces explications sont corroborées par Guangzhou Icesource Co., Ltd, une entreprise chinoise spécialisée dans l’industrie des équipements de réfrigération et de fabrication de glace à grande échelle, qui décrit sur son site, le fonctionnement de la machine à blocs de glace de type saumure, qu’elle commercialise depuis des années.
Ces détails démontrent qu’il s’agit d’une solution artisanale conçue pour répliquer les machines industrielles de production de glace par saumure.
« Dans ce cas précis, un moteur de climatiseur, dont la puissance varie selon la quantité de glace à produire, sert d’unité de réfrigération. Il est connecté à un bac, soit en dur comme dans la vidéo, soit un ancien congélateur adapté, contenant un évaporateur et des tuyaux en cuivre avec un gaz réfrigérant. Ensemble, ils refroidissent le bac. Un agitateur homogénéise le froid dans l’eau salée pour accélérer la fabrication de glace », précise Fiacre.
Avec cette machine – artisanale – et en fonction de la taille du bac et de la puissance du moteur, le technicien renseigne qu’il est possible de produire entre 200 et 300 boules de glace, voire plus, en trois ou quatre heures en moyenne. Il affirme que c’est certainement le laps de temps qui s’est écoulé entre la première et la seconde séquence de la vidéo, réfutant une fois de plus la théorie selon laquelle la glace a été fabriquée instantanément.
Ces mêmes dispositifs se retrouvent dans les machines industrielles, à l’instar de la machine à glace en blocs MBI 625 – saumure de la marque ODIMER, commercialisée par la Société à responsabilité limitée (SARL) française Riesco Group.
Par ailleurs, cette fabrication artisanale devient de plus en plus courante en Afrique où l’on observe une demande grandissante, selon Bienvenu Kouwonou, électricien en bâtiment et technicien en froid, gérant d’une entreprise spécialisée dans la fabrication et l’installation de ce type de machine. Depuis son Togo natal où il a installé sa petite entreprise, il fournit une clientèle répartie dans la sous-région ouest africaine.
À l’aide de petites vidéos, il fait la promotion et explique régulièrement le fonctionnement de ces machines à glace sur son compte TikTok.
Contacté par l’AFCA, il a indiqué que « les producteurs de glace dans la sous-région sont de plus en plus intéressés par ce dispositif car il est plus pratique et permet de fabriquer rapidement de la glace en grande quantité et à moindre coût ».
La saumure : l’atout caché du système
L’innovation de la machine, qui a au demeurant suscité l’ahurissement des internautes, réside dans la saumure, cette solution aqueuse contenant une forte concentration de sel – du chlorure de sodium (NaCl) ou du chlorure de calcium (CaCl2).
La saumure a plusieurs utilisations. Par exemple, elle sert à déneiger les routes, dans quel cas elle a une concentration de 24% en poids de sel, selon Sensorex Solutions, une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de capteurs et de systèmes de surveillance pour des applications industrielles, environnementales et de laboratoire, notamment dans les domaines de la qualité de l’eau et des procédés industriels. Quant à la fabrication de la glace, la concentration de sel dans la saumure est d’environ 23%.
Ce niveau de concentration abaisse le point de congélation de la saumure, appelé le point eutectique.
« La forte concentration de sel dans la saumure lui permet de rester liquide jusqu’à -20°C et au-delà », souligne Dr Nanakassé.
« Cela permet donc à la saumure de jouer un rôle essentiel en tant qu’agent d’échange thermique dans ce dispositif car, en abaissant le point de congélation, l’eau douce en sachets congèle à partir de 0 °C alors que la saumure, elle, demeure liquide », ajoute-t-il.
Fiacre précise que dans le dispositif artisanal décrit supra, un mouvement constant de la saumure est nécessaire pour garantir son efficacité. En effet, ce mouvement constant est assuré par un agitateur qui permet une distribution uniforme du froid, évitant ainsi la formation de zones chaudes qui pourraient ralentir le processus de congélation.
Ce n’est donc pas de l’eau de mer qui est utilisée dans la machine pour fabriquer de la glace, mais bien de la saumure, et le dispositif répond bel et bien à des principes scientifiques.
Préoccupations sanitaires : les limites du dispositif
Cependant, s’il est vrai que le dispositif repose sur des principes scientifiques et ne relève pas d’une pratique “magique”, les conditions de salubrité observées sur les images de la vidéo demeurent critiquables. Notamment, la couleur verdâtre de l’eau dans le bac soulève des questions quant à la propreté et à la sécurité du processus de fabrication de glace, de la dame.
Somé Hervé, spécialiste dans le domaine de la climatisation et directeur général de Tropique Froid Sarl, à qui l’AFCA a présenté les images au moment de son interview, fait remarquer que la couleur verdâtre de l’eau est due au vert-de-gris.
« Le vert-de-gris se forme souvent sur les tuyaux de canalisation d’eau, des robinets vétustes ou mal entretenus, et au niveau de certaines installations de climatiseur ou de conduits d’air conditionné, lorsqu’ils sont mal entretenus », indique Somé.
Formation de vert-de-gris sur un tuyau en cuivre à la sortie d’eau chaude d’une chaudière. Source : ForumConstruire.com
Pour expliquer scientifiquement le phénomène, Dr Nanakassé soutient que « certains métaux tels que le cuivre et ses alliages comme le bronze s’oxydent lorsqu’ils sont exposés à l’air et à l’humidité, formant ainsi une couche de vert-de-gris, qui peut se mélanger à l’eau environnante donnant cette couleur verdâtre. Ce phénomène est accentué dans les environnements mal entretenus où l’accumulation de débris et d’humidité favorise l’oxydation rapide de métaux comme le cuivre ».
La piscine à saumure de ces machines artisanales contient également de nombreux tuyaux de cuivre alambiqués dans lesquels circule le gaz réfrigérant. Elle constitue de facto un environnement propice à la formation de cette patine verdâtre, comme l’illustre l’image de l’intérieur du bac de la machine de Donatienne, capturée de sa vidéo explicative.
Tuyaux recouverts de vert-de-gris baignant dans la saumure dans une machine à glace. Source : Vidéo de Donatienne.
Le vert-de-gris est toxique pour l’organisme humain. C’est en cela que Somé informe qu’il est crucial de maintenir une salubrité optimal au niveau de la machine à glace à saumure.
« Il est recommandé de vider fréquemment le bac et de changer la saumure, ainsi que de procéder à un entretien régulier des installations en nettoyant notamment les tuyaux et autres composants, afin d’éviter la formation excessive de vert-de-gris », conseille-t-il.
Pour sa part, Fiacre rassure que si les sachets d’eau sont bien attachés, le risque que la saumure s’infiltre dans l’eau douce destinée à produire la glace est minime. Il invite néanmoins les consommateurs à bien rincer ces glaces avant consommation pour se prémunir de toute intoxication due au vert-de-gris.
Verdict
Un groupe de vérificateurs des faits de l’Alliance africaine de vérification des faits (AFCA) a examiné un post sur Facebook prétendant montrer des dames fabriquant de la glace de façon instantanée et l’a trouvé FAUX. Le groupe a pu établir à l’aide des preuves scientifiques et avis des experts qu’il s’agit d’une vidéo manipulée.
Cette vérification des faits est rédigée par Bilal Taïrou, Mardochée Boli, Mamady Kebe et Cédrick Irakoze, vérificateurs de faits de l’Alliance africaine de fact-checking (AFCA) et de PesaCheck, l’initiative de vérification des faits de Code for Africa.